J'avais, avant de venir à Séville, entendu parler des corrida de toros comme tout le monde. Je n'avais pas d'avis spécialement tranché sur la question, en fait, je m'en fichais un peu. Lorsque j'ai su que Séville disposait des arènes les plus importantes d'Espagne, après celles de Madrid, je me suis dit qu'il faudrait que je profite de mon année ici pour aller voir ma première corrida de toros. Bien sur, j'avais connaissance des arguments des anti-corrida, que je comprenais plutôt, mais je ne voulais pas juger sans connaitre. La temporada (saison) débute, à Séville, après la traditionnelle Feria, à la fin du mois d'avril, et s'achève fin septembre-début octobre. Hier, le 12 octobre, était célébrée la Fête Nationale espagnole, l'occasion de voir se dérouler un festival dans les arènes de la ville, clôturant ainsi la temporada. C'était donc la dernière occasion pour nous d'y assister si nous ne voulions pas attendre six mois. Les prix n'étant pas très élevés (20€ la place sol -les places sont plus ou moins chères selon si elles se trouvent au soleil ou bien à l'ombre), et les fonds intégralement reversés à la Croix Rouge espagnole et à La banque alimentaire de Séville, nous n'avions plus aucune excuse, et j'ai réussi à convaincre Manon et sa coloc, Kinga, de venir avec moi.
Avant toute chose, je tiens à dire que je comprends parfaitement que la corrida de toros puisse choquer, et si c'est votre cas, je vous conseille de ne pas lire la suite puisque je vais tenter de raconter le plus fidèlement possible le déroulé des choses.
Le spectacle débutait à 17h30, mais déjà dans le bus qui me menait aux arènes, j'avais repéré quelques aficionados, équipés de leurs coussins et éventails. En entrant dans l'arène, nous avons découvert que nous avions une excellente vue, ce qui nous a d'ailleurs fait un peu peur, ne sachant pas encore véritablement si on allait apprécier ce que l'on s'apprêtait à voir. En attendant le début, nous avons donc regardé les gradins se remplir progressivement, il n'y avait presque plus aucune place de libre.
Vous remarquerez qu'il fait toujours aussi beau ; j'aime ce pays !
Alors que Kinga commençait à nous dire en rigolant que de toute façon, puisque l'on était en Espagne, la corrida commencerait sans doute avec un énorme retard (le retard espagnol c'est pas un mythe, et il est difficile de parler de "quart d'heure espagnol", on est bien au delà du quart d'heure!), la musique a commencé à retentir, pile à l'heure (d'où mon titre, vers extraits d'un poème écrit par Garcia-Lorca au début du XXe siècle). Le spectacle est extrêmement codifié, et il commence par le paseo, qui est le défilé de tous les protagonistes : les matador, en général au nombre de 3 (l'évènement d'hier étant particulier, ils étaient 6), placés selon leur ancienneté, suivis par les autres toreros, qui auront pour rôle de jouer avec le taureau et de le fatiguer, en attendant l'entrée en scène du matador seul, puis par les chevaux et mules qui participeront également. Pour cette dernière de la saison, le public était gâté puisque, je ne l'ai su bien sur qu'après, les matador étaient pour certains très connus en Espagne, et il y avait un grand nombre de photographes au moment de leur entrée.
Le combat débute alors, il durera près de 3h, six taureaux étant mis à mort (une fois de plus, à journée exceptionnelle, nous avons eu droit à un septième taureau, ce qui a déclenché l'hystérie de la foule, youpi, on ne s'arrête plus !). Chaque combat de taureau est divisé en 3 actes, que l'on appelle les tercio. Le taureau entre dans l'arène, et le premier tercio débute. Quatre toreros y prennent part, dont le matador, il s'agit d'évaluer le comportement du taureau, en l'attirant en agitant une capa fuchsia. Au bout de quelques minutes, deux picador entrent dans l'arène, ils sont à cheval, et leur rôle est de planter deux premières piques dans la tête du taureau.
Débute ensuite le deuxième tercio, les toreros doivent planter des banderilles près du garot de l'animal. Le matador ne prend pas part à cet acte, à moins que le public ne l'y encourage vivement, mais cela arrive rarement, ça n'est pas son rôle. Il s'agit d'un acte très technique puisque le torero doit attirer la bête d'un "Olé" avant de se jeter sur lui pour le planter, et de ne l'esquiver qu'au dernier moment. Le danger est réel, d'autres torero agitent donc leur cape afin d'attirer le taureau pour que celui-ci ne se précipite pas sur son "agresseur". Régulièrement, les banderilles sont ratées, le geste étant très compliqué.
Une fois que six banderilles ont été placées, débute le troisième et dernier tercio, le plus impressionnant, le plus émouvant également, qui s'achèvera par la mise à mort. Le matador se place au centre de l'arène et salue le public. Il reçoit alors la muleta, cape rouge soutenue par un bâton et se retrouve seul face au taureau. C'est alors que commence la faena, c'est à dire les différentes passes de cape qu'il réalise avant l'estocade finale. Cet acte ne peut excéder 15 minutes, des sons de trompette rappellent au matador le temps dont il dispose avant de procéder à la mise à mort. S'il a besoin de plus de temps, c'est la grosse honte, et le public n'hésite pas à se manifester. Débute alors une réelle chorégraphie entre la bête et le matador, au son de l'orchestre. Au premier taureau, j'avoue n'en avoir par réellement profité, attendant avec beaucoup d'appréhension la mort de l'animal. Mais, ensuite, je dois reconnaitre que j'ai réellement apprécié, on ne peut s'empêcher de garder les yeux rivés sur l'homme seul face à la bête, se demandant lequel est finalement le plus fort. Les passes de cape sont encouragées par des "Olé" du public.
Finalement, lorsqu'il sent que le moment opportun est venu, le matador porte le coup fatal, il doit normalement planter l'épée jusqu'à trois fois, mais souvent, il ne le fait que deux fois avant que le taureau ne finisse par capituler. La dépouille de l'animal est alors sortie par trois mules. Si le public estime que le matador a fait preuve d'un courage ou d'une technique exceptionnels, il agite un mouchoir blanc, indiquant ainsi au président de séance qu'il souhaite qu'une récompense soit attribuée au matador, en général une oreille, ou bien la queue du taureau. Hier, sur six matador, deux ont reçu une récompense, ils ont alors le droit d'effectuer un tour de piste pour saluer le public de près, qui peut lui envoyer toute sorte de cadeaux. Il gardera les fleurs, renverra les chapeaux et autres foulards à leurs propriétaires.
Ce rituel se produit donc à six reprises (7 en l’occurrence, hier soir). A la fin, les matador sont à nouveaux réunis et ils quittent l'arène ensemble après s'être congratulés. Alors, au final, que penser de tout ça ? Je l'avoue, j'ai apprécié le spectacle, j'ai été surprise, stressée, admirative, et parfois, émue par toutes sortes de choses : un matador se plaçant face à la bête pour la première fois, l'hystérie du public alors que des milliers de mouchoirs blancs s'agitent, la bravoure d'un taureau retournant contre la barrière pour mourir dos à l'arène, la joie d'un matador de vingt ans à peine se voyant octroyer une récompense... J'ai réellement eu l'impression d'assister à un spectacle plus qu'à une torture organisée. Je ne me sens pas, aujourd'hui, plus barbare et plus cruelle qu'hier, parce que j'ai cautionné ça. Bien sur, les faits sont là, j'ai vu souffrir puis mourir sept taureaux, et j'ai applaudi cela... dois-je m'en vouloir ? Je ne pense pas. Ne soyons pas hypocrites. Comme le souligne cet excellent article : http://www.marianne.net/On-ne-va-pas-a-la-corrida-pour-voir-du-sang_a193900.html , nous mangeons de la viande, issue d'animaux ayant eu une vie bien moins belle que ces taureaux, et connaissant une mort bien moins glorieuse, au fin fond d'un abattoir. J'ai vraiment pris cette corrida comme un duel impressionnant entre un homme et une bête, sans savoir au fond lequel des deux pourra sortir vainqueur. Ceci étant dit, encore une fois, j'entends parfaitement les arguments des anti. Je comprends qu'on ne veuille pas voir ça, et j'ai d'ailleurs essayé de ne pas mettre de photos trop parlantes. Cela dit, je pense simplement qu'il ne faut pas juger tant que l'on n'a rien vu et rien appris de la corrida, elle revêt ici une véritable signification. Quoi qu'il en soit, je voulais me faire un avis, c'est désormais chose faite.
Merci Marie pour ce beau récit et pour ton témoignage sur ce sujet "explosif" qu'est la corrida... Je trouve que tu as su rester très "objective" dans ta façon de décrire ton ressenti... Besos.
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