samedi 19 octobre 2013

Cet article que tout étudiant Erasmus possédant un blog fait une fois dans son année.



Je n’en peux plus. J’ai envie d’étriper la moindre personne associant les mots « Erasmus » et « génial » en permanence. Ceux là mêmes qui te disent juste après « t’as vraiment trop de la chance ». Non, ça n'est pas toujours génial. Non  on n'a pas « trop de la chance ». D'abord, parce qu'au passage, juste pour re-préciser les choses, personne n'est jamais venu me voir en me disant « si ça te tente, on te file de l'argent et un logement, tu pars un an à Séville et tu nous ramènes des belles photos ». Je suis là parce que je l'ai demandé, avant tout. Et puis, parce que je me suis farcie des démarches à n'en plus finir, des papiers à imprimer, à remplir, à signer, à scanner, des documents à convertir, des mails à écrire, à traduire, à comprendre. Je suis là parce que je me suis défoncée pour. Pas parce que j'ai plus de chance que d'autres. Et non, ça n'est pas « trop trop cool ». Souvent, c'est bien. Parfois, ça ne l'est plus du tout. Et ça, quand tu ne l'as pas vécu, tu ne le sais pas. Tu ne sais pas à quel point tu vas te sentir incompris. Incompris par les gens que tu vas côtoyer quotidiennement sans parler leur langue. Quand, pensant te rendre service, un serveur va te dire « I speak english if you prefer ». Quand tu vas te retrouver avec un café alors que ça n'est absolument pas ce que tu as demandé. Quand le prof va expliquer les modalités d'évaluation et que tu seras la seule à ne pas savoir s'il y aura un partiel ou non. Et puis, incompris par les autres, ceux restés en France, ceux là même qui te répondront que « mais non, tu as trop de chance » quand tu essayeras de dire qu'aujourd'hui, non, ça ne va pas si fort. Incompris aussi par ceux qui ne comprendront pas que tu puisses être plus proche de gens que tu connais à peine, que d'eux. Par tous ceux qui répondront à quoi que tu dises « non mais c'est normal » alors qu'ils ne savent rien de la normalité en matière d'Erasmus. Et puis alors, tu ne sais pas que souvent, si souvent, tu te sentiras perdue. Tu erreras dans la ville à la recherche de la fac alors que ton cours est dans 10 minutes. Tu prendras le bus dans le mauvais sens. Tu n'en pourras plus que l'on te réponde « todo recto todo recto » quand tu demanderas ta direction. Perdue, tu le seras aussi dans les supermarchés, avec ton dictionnaire, alors que tu venais simplement acheter du riz. Quand ton coloc te dira que ça n'est pas de la lessive que tu as acheté mais de l'assouplissement. Quand tu réaliseras en voulant regarder une émission en replay, alors que la fenêtre « contenu interdit dans votre pays » apparaîtra sur ton écran, que non, décidément, tu n'es pas chez toi. Quand un amphi entier se mettra en rire en écoutant le prof alors que tu chercheras simplement à comprendre ce qu'il a pu dire. Et ce dont tu te doutes, mais que tu ne mesures pas vraiment, c'est à quel point parfois, tu seras seule. Parce que le soleil, les glaces, les plages, les monuments, les rues pavées, les fêtes, les tinto verano oui tu les aimes, mais les gens avec qui tu voudrais les partager, eh bien, ils ne sont pas là. Tu ne te rends pas compte de tout ce qui va te manquer, et de tout ce que tu vas manquer. Au moment où tu boucles ta valise dans ta chambre, tu ne sais pas que quelques semaines plus tard, tu serais prête à vendre un rein pour n'y passer qu'une nuit. Juste, une fois, vite fait, rentrer chez toi, faire un bon repas, dormir dans ton lit. Tu ne sais pas que tu regarderas les prix des billets d'avion « juste comme ça, au cas où, une bonne affaire, j'ai 2 jours de libres », que liligo et opodo deviendront tes plus fidèles alliés. Bien sur, tu ne les achèteras pas. Mais, en compensation, tu finiras ton 4e pot de Philadelphia de la semaine en écoutant, en boucle, Yann Tiersen. Et puis, souvent, tu attendras. Tu attendras dans la rue, tes amis retardataires, te sentant observée. Tu attendras à la BU que les autres sortent de cours, en lisant ton dictionnaire pour continuer à apprendre, encore et toujours, cette langue que parfois tu n’arrives plus à supporter tant on te fait bien sentir que ce n’est pas la tienne. Tu attendras qu’on te propose de sortir. Tu attendras que ton coloc daigne te dire bonjour alors qu’il est passé devant ta porte ouverte une bonne dizaine de fois dans la journée. Tu attendras que ton directeur de recherche se rappelle que tu existes. Tu attendras ta bourse, sans laquelle tu ne peux pas faire grand-chose. Et puis, tu attendras Noël, ce mot si libérateur, ce mot qui veut dire « allez viens, c’est l’heure de rentrer à la maison ».


Et puis finalement, tout ça passe. Tu sais qu'une amie, que ta famille arrive bientôt, justement, pour partager tout ça avec toi. Tu te rends compte que tu as réussi, la veille, à tenir une vraie conversation en espagnol, sans spécialement avoir à chercher tes mots. D'anciens Erasmus me l'ont dit : les mauvais moments sont légion, ils sont même parfois plus réguliers que les bons ; et pourtant, personne ne regrette son Erasmus, tout le monde le referait, il doit bien y avoir une raison. Des raisons, il y en a même des milliers. Et au bout du compte, ce que tu espérais avant de partir et qui va se confirmer, c’est à quel point, malgré tous les travers de ce pays, malgré ces quelques soirées plus ou moins larmoyantes passées devant ton ordinateur, tu as bien fait de franchir le cap. Tu as bien fait de signer ces formulaires, tu as bien fait de le prendre, cet avion. Tu es bien ici, finalement.


Est-ce-que ces quelques minutes d’écoute de Yann Tiersen valaient la peine de faire un article ? Je n’en suis pas sure, mais maintenant il est là. J’adore mon année. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je suis loin d’être dépressive et au fond du trou, au contraire. Si tel est le cas, ça fait bien longtemps que je serais rentrée. Mais ce blog n’est pas un feuillet touristique vantant les mérites de l’Andalousie. C’est le quotidien d’une expatriée, mon quotidien, il a pour seul but d’être réaliste. Merci de ne pas m'abreuver de messages "oh mais Marie, vite rentre, si tu n'es pas bien, tu me fais tellement de peine". Je suis bien. Merci, cependant, de ne plus me répondre, en permanence "qu'est ce que je t'envie" au moment précis où j'ai envie de vous dire que j'aimerais être à votre place, à la mienne, chez moi.

1 commentaire:

  1. C'est exactement ce que je me disais, il y a quelques jours, en discutant avec une Erasmus allemande. Ce n'est pas simple du tout, du tout.
    Alors des bisous. Bien français, bien sur !

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