Je n’en
peux plus. J’ai envie d’étriper la moindre personne associant les mots « Erasmus »
et « génial » en permanence. Ceux là mêmes qui te disent juste après « t’as
vraiment trop de la chance ». Non, ça n'est pas toujours génial. Non on n'a pas « trop de la chance ».
D'abord, parce qu'au passage, juste pour re-préciser les choses, personne n'est
jamais venu me voir en me disant « si ça te tente, on te file de l'argent
et un logement, tu pars un an à Séville et tu nous ramènes des belles
photos ». Je suis là parce que je l'ai demandé, avant tout. Et puis, parce
que je me suis farcie des démarches à n'en plus finir, des papiers à imprimer,
à remplir, à signer, à scanner, des documents à convertir, des mails à écrire,
à traduire, à comprendre. Je suis là parce que je me suis défoncée pour. Pas
parce que j'ai plus de chance que d'autres. Et non, ça n'est pas « trop
trop cool ». Souvent, c'est bien. Parfois, ça ne l'est plus du tout. Et
ça, quand tu ne l'as pas vécu, tu ne le sais pas. Tu ne sais pas à quel point
tu vas te sentir incompris. Incompris par les gens que tu vas côtoyer
quotidiennement sans parler leur langue. Quand, pensant te rendre service, un
serveur va te dire « I speak english if you prefer ». Quand tu vas te
retrouver avec un café alors que ça n'est absolument pas ce que tu as demandé.
Quand le prof va expliquer les modalités d'évaluation et que tu seras la seule
à ne pas savoir s'il y aura un partiel ou non. Et puis, incompris par les
autres, ceux restés en France, ceux là même qui te répondront que « mais
non, tu as trop de chance » quand tu essayeras de dire qu'aujourd'hui,
non, ça ne va pas si fort. Incompris aussi par ceux qui ne comprendront pas que
tu puisses être plus proche de gens que tu connais à peine, que d'eux. Par tous
ceux qui répondront à quoi que tu dises « non mais c'est normal »
alors qu'ils ne savent rien de la normalité en matière d'Erasmus. Et puis
alors, tu ne sais pas que souvent, si souvent, tu te sentiras perdue. Tu
erreras dans la ville à la recherche de la fac alors que ton cours est dans 10
minutes. Tu prendras le bus dans le mauvais sens. Tu n'en pourras plus que l'on
te réponde « todo recto todo recto » quand tu demanderas ta
direction. Perdue, tu le seras aussi dans les supermarchés, avec ton
dictionnaire, alors que tu venais simplement acheter du riz. Quand ton coloc te
dira que ça n'est pas de la lessive que tu as acheté mais de l'assouplissement.
Quand tu réaliseras en voulant regarder une émission en replay, alors que la
fenêtre « contenu interdit dans votre pays » apparaîtra sur ton
écran, que non, décidément, tu n'es pas chez toi. Quand un amphi entier se
mettra en rire en écoutant le prof alors que tu chercheras simplement à
comprendre ce qu'il a pu dire. Et ce dont tu te doutes, mais que tu ne mesures
pas vraiment, c'est à quel point parfois, tu seras seule. Parce que le soleil,
les glaces, les plages, les monuments, les rues pavées, les fêtes, les tinto
verano oui tu les aimes, mais les gens avec qui tu voudrais les partager, eh
bien, ils ne sont pas là. Tu ne te rends pas compte de tout ce qui va te
manquer, et de tout ce que tu vas manquer. Au moment où tu boucles ta valise dans
ta chambre, tu ne sais pas que quelques semaines plus tard, tu serais prête à
vendre un rein pour n'y passer qu'une nuit. Juste, une fois, vite fait, rentrer
chez toi, faire un bon repas, dormir dans ton lit. Tu ne sais pas que tu
regarderas les prix des billets d'avion « juste comme ça, au cas où, une
bonne affaire, j'ai 2 jours de libres », que liligo et opodo deviendront
tes plus fidèles alliés. Bien sur, tu ne les achèteras pas. Mais, en
compensation, tu finiras ton 4e pot de Philadelphia de la semaine en écoutant,
en boucle, Yann Tiersen. Et puis, souvent, tu attendras. Tu attendras dans la
rue, tes amis retardataires, te sentant observée. Tu attendras à la BU que les
autres sortent de cours, en lisant ton dictionnaire pour continuer à apprendre,
encore et toujours, cette langue que parfois tu n’arrives plus à supporter tant
on te fait bien sentir que ce n’est pas la tienne. Tu attendras qu’on te
propose de sortir. Tu attendras que ton coloc daigne te dire bonjour alors qu’il
est passé devant ta porte ouverte une bonne dizaine de fois dans la journée. Tu
attendras que ton directeur de recherche se rappelle que tu existes. Tu
attendras ta bourse, sans laquelle tu ne peux pas faire grand-chose. Et puis,
tu attendras Noël, ce mot si libérateur, ce mot qui veut dire « allez
viens, c’est l’heure de rentrer à la maison ».
Et
puis finalement, tout ça passe. Tu sais qu'une amie, que ta famille arrive
bientôt, justement, pour partager tout ça avec toi. Tu te rends compte que tu
as réussi, la veille, à tenir une vraie conversation en espagnol, sans
spécialement avoir à chercher tes mots. D'anciens Erasmus me l'ont dit :
les mauvais moments sont légion, ils sont même parfois plus réguliers que les
bons ; et pourtant, personne ne regrette son Erasmus, tout le monde le
referait, il doit bien y avoir une raison. Des raisons, il y en a même des
milliers. Et au bout du compte, ce que tu espérais avant de partir et qui va se
confirmer, c’est à quel point, malgré tous les travers de ce pays, malgré ces
quelques soirées plus ou moins larmoyantes passées devant ton ordinateur, tu as
bien fait de franchir le cap. Tu as bien fait de signer ces formulaires, tu as
bien fait de le prendre, cet avion. Tu es bien ici, finalement.
Est-ce-que
ces quelques minutes d’écoute de Yann Tiersen valaient la peine de faire un
article ? Je n’en suis pas sure, mais maintenant il est là. J’adore mon
année. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je suis loin d’être dépressive
et au fond du trou, au contraire. Si tel est le cas, ça fait bien longtemps que
je serais rentrée. Mais ce blog n’est pas un feuillet touristique vantant les mérites
de l’Andalousie. C’est le quotidien d’une expatriée, mon quotidien, il a pour
seul but d’être réaliste. Merci de ne pas m'abreuver de messages "oh mais Marie, vite rentre, si tu n'es pas bien, tu me fais tellement de peine". Je suis bien. Merci, cependant, de ne plus me répondre, en permanence "qu'est ce que je t'envie" au moment précis où j'ai envie de vous dire que j'aimerais être à votre place, à la mienne, chez moi.
C'est exactement ce que je me disais, il y a quelques jours, en discutant avec une Erasmus allemande. Ce n'est pas simple du tout, du tout.
RépondreSupprimerAlors des bisous. Bien français, bien sur !