Il y a 2 mois jour pour jour, je me souviens bien, on était vendredi, et à cette heure-ci (23h et des brouettes), ma valise était fermée, pesée et posée près de l'entrée de la maison. Tout était prêt pour le départ : mon lisseur, ma peluche chat, mes nombreuses robes, mes papiers. Tout était prêt, sauf moi, qui me demandait, enfin, ce qui m'était passé par la tête, alors que tout était si bien en France, si clair, si facile. Il y a 2 mois et 12h, je décollais vers l'Espagne, il y a 2 mois et 14h, je me posais sur les pistes de l'aéroport sur la façade duquel se détachaient les énormes lettres formant "SEVILLA". Il y a 2 mois et 17h, j'arpentais pour la première fois des rues que je n'avais jamais vues, et qui allaient devenir mon quotidien. Il y a 2 mois et 24h, je parlais à une fille dormant dans le même dortoir que moi, une turque, qui est aujourd'hui ma coloc. Je n'ai pas toujours tout compris depuis : ni ce qu'on me disait, ni ce qui m'arrivait. Dans 2 mois jour pour jour, je reviendrai tout juste de France, après y avoir passé 2 semaines. 1/5e du trajet. Dans 2 mois jour pour jour, on sera presque à la moitié de l'année. C'est terrifiant. Parce que tout est passé si vite, ça n'est pas possible. Et en même temps, j'ai tant vécu en 2 mois que je ne sais pas comment je vais pouvoir encore vivre des choses nouvelles sur les 8 mois qu'il me reste. Et pourtant. J'ai l'impression d'être arrivée hier. Demain, ça fera 4 mois. Ce week-end, 6. La semaine prochaine, ce sera terminé.
En 2 mois, j'ai appris à aimer la bière. Détail qui a son importance. J'ai acheté un short, et je l'ai porté. J'ai acheté des ballerines et je les ai portées. J'ai appris à me mettre de l'eye liner. J'ai vu des spectacles de flamenco. J'ai assisté à une vraie corrida de toros. J'ai regardé la télé en espagnol. J'ai lu le journal en espagnol. Petit à petit, j'ai compris les espagnols se parlant entre eux. J'ai compris les blagues de mes profs. J'ai compris mon cours d'Historiografia. J'ai visité Séville, dans tous les sens, à pied, en bus, à vélo, en voiture. J'ai été au Portugal. J'ai été à Cádiz. J'ai été à Grenade. J'ai appris des insultes dans plusieurs langues. A dire "je m'appelle Marie" en polonais. A compter en turc. J'ai enfin réussi à m'exprimer au passé en espagnol. Je n'ai plus l'air idiote quand je raconte ce qui m'est arrivé la veille au présent. En 2 mois, j'ai rencontré des tas de gens. Des gens de partout. J'ai pris les numéros de beaucoup. J'en ai revu une grande
partie. Je me suis liée d'amitié avec certains. Et quelques uns
sont devenus de réels piliers. Des gens pour qui tu ressors à n'importe quelle heure. Des gens que tu consoles quand ils voudraient être n'importe où excepté ici, à Séville, tellement soudain, ça leur parait insurmontable tout ça. Dès gens qui m'ont consolée quand je voulais être n'importe où excepté ici, à Séville, tellement soudain, ça me paraissait insurmontable tout ça. Des gens avec qui je peux passer une nuit entière juste assise par terre à discuter, à rire, jusqu'à se dire qu'il est peut-être temps de rentrer maintenant.
Et puis, en 2 mois, en m'en éloignant, j'ai appris à être française. Plus j'aime l'Espagne, plus je comprends la France. Plus je découvre d'autres cultures, plus je me rends compte qu'elles ne sont pas les miennes. Je suis révoltée par ce qui se passe parfois dans mon pays, par les bribes d'information qui me parviennent, par cette histoire de bijoutier, en septembre, par cette histoire de Léonarda. Mais j'ai beau essayer, il n'y a rien à faire. J'ai faim à 20h. Je râle lorsque le bus passe dans plus de 5 minutes. Je suis au bord des larmes dès que mon prof d'histoire de l'art évoque Paris. Il n'y a rien à faire. J'ai du aller faire une photocopie de mon passeport ce matin, j'ai montré fièrement le "République française". C'est moi. Il y a eu, il y a quelques jours, une soirée française organisée par ESN, l'association Erasmus officielle. Il fallait nous voir, nous autres, tous les français, agitant nos drapeaux en chantant.
Et en même temps...j'ai appris à être d'ailleurs. Parce que Séville, maintenant, c'est chez moi. Je sors sans plan. Je ne réfléchis pas avant de prendre le bus. J'ai mes adresses : le bar du flamenco, le bar pas cher, le bar sympa, le 100 montaditos et ses sandwichs à 50cts le lundi, les supermarchés, les libraires, et même le burger king aux toilettes accessibles sans codes et ouvertes une bonne partie de la nuit. Je ne suis pas espagnole, encore moins andalouse, et je ne le serai jamais. Je serai toujours la française. Mais pas la touriste, et ça change beaucoup de choses. Dimanche dernier, on a du ("on", c'est les gens qui sont venus me voir, et moi, je vous raconterai, on a fait plein de trucs vraiment bien !) louer une voiture. En voyant mon passeport français, la dame m'a parlé en anglais. Ma réponse en espagnol a du lui convenir, elle a poursuivi en espagnol. De plus en plus vite. Et j'ai répondu de plus en plus sure de moi. Je lui ai donné une adresse sévillane. Je n'étais plus l'énième touriste. J'étais une française installée à Séville. Toute ma vie, je crois que Séville, ça sera un peu chez moi. Je ne viendrai plus jamais à Séville, j'y reviendrai. Volver. J'aime bien ce verbe. J'y reviendrai, et je saurai immédiatement où aller. Je ne serai plus jamais complètement chez moi quelque part. Parce que si ici, je resterai la française, en France, je serai celle qui a vécu ailleurs.
Je ne sais pas à quel point ces 10 mois me changeront. Les maths, cette fois, ne veulent plus rien dire. Je n'ai pas l'impression d'avoir changé 1/5e de ma vie. Tout a changé, et en même temps, pas grand chose. Je crois que j'ai simplement laissé mes problèmes, mes habitudes, mes plaisirs en France, et que je m'en suis crée de nouveaux en attendant de les retrouver. Et ça, c'est valable depuis la première semaine. Prochain bilan à 2/5e du trajet ? Ou à la moitié ? Ou à 2/3. On verra.
Et puis surtout...
J'ai acheté une balance cet après-midi. Il était temps. Je commençais vraiment à m'inquiéter. Et donc, c'est officiel. En 2 mois, je n'ai pas pris un gramme.
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