La promenade des souvenirs... A Séville, il existe de nombreuses rues se nommant "paseo", c'est à dire "promenade", on a notamment la promenade de Christophe Colomb, la promenade des délices -c'est prometteur-, mais on n'a pas la promenade des souvenirs. Alors, ma coloc -Tugce- et moi, on l'a inventée samedi dernier. Le matin, j'avais un examen, mais j'avais envie de souffler un peu ensuite. Elle voulait aller se promener dans une ville près de Séville mais n'avais finalement pas pu. On a donc décider de se faire une après-midi touristique... dans Séville. D'essayer de trouver des coins qu'on ne connaitrait pas encore. Mais ça ne s'est pas passé du tout comme ça. On a pris un vélo près de chez nous, avec pour but d'aller jusqu'à la calle Betis, l'une des plus belles rues de Séville, avec des maisons de toutes les couleurs longeant le fleuve. Finalement, on est restées dehors près de 6h. Et chaque avenue, chaque carrefour, chaque coin de rue est devenu l'occasion de se remémorer notre année. On s'est rendues compte que l'on avait des souvenirs absolument partout dans cette ville, même des moments les plus anodins... Et comme on n'est tout de même pas ensemble 24h/24, et même si on se raconte absolument tout, quand on ne se le fait pas vivre en direct à travers Whatsapp, ça a également été l'occasion de découvrir des bouts de vie sévillane de l'autre.
Le pont de la Barqueta, à deux pas de chez nous, où j'avais attendu des amis avant la réunion d'accueil Erasmus en septembre. Les bords du Guadalquivir, profitant des premiers vrais rayons de soleil en février. L'escalier de la calle Torneo et son botellon en décembre. Le parc derrière Plaza de Armas et l'anniversaire d'une copine en mai. Le pont de Triana et les retours de soirée à 6h du matin, de septembre à juin. Les rues de Triana, parcourues en bus, au retour de la fac, chaque jour. La Plaza de Cuba remplie d'Erasmus partant à la plage ce dimanche matin de septembre. Sa boite de nuit extérieure, au bord du fleuve, ma première soirée, en septembre. La Calle Betis, et sa promenade, parcourue en octobre. "Ah tiens, regarde, c'est dans cette boite que j'étais l'autre soir, c'est sympa". Le McDo de Puerta Jerez, ses hamburgers à 4h du matin, en octobre, et ses pauses déjeuners n'en finissant pas. Le café où j'allais réviser, en janvier, puis à nouveau en juin. La fac. Evidemment. Les bords du fleuve envahies de sévillanes en tenue de flamenco en mai. La Torre del Oro et sa superbe vue sur la Giralda, en novembre. Le pédalo sur le fleuve, en mai. La plaza de Toros et ma première corrida, en octobre. Le meilleur des restaurants, découvert en mars. La ruelle cachée, raccourci pour rejoindre la Cathédrale, empruntée seulement depuis avril. "Ah bah tiens, regarde Marie, c'est là que j'étais quand tu m'as dit que t'avais trouvé un appart avec deux chambres". La fontaine face à la Giralda et les grandes discussions auxquelles elle a assisté, en octobre. Les ruelles de Santa Cruz et sa plaza Doña Elvira, en novembre, "viens voir par là; Tugce, il faut que je te montre le plus bel endroit de Séville". La Plaza Santa Maria, découverte en mars après m'être perdue. Et, même après 10 mois, avoir besoin de Google Map pour sortir de ce quartier. Se rappeler, dans telle rue, y avoir dit au revoir à une amie, partie de Séville en février. Le trottoir sur lequel on s'est racontés nos vies, avec des amis, en septembre. Soudain, l'église affreuse, rouge et jaune, devant laquelle j'étais passée le premier jour en me promenant, la première photo de mon album "Séville", qui en compte maintenant près de 2.000. Les ruelles d'Alfalfa qui pourraient en raconter des dossiers, tant elles ont vu passer d'Erasmus. Los Coloniales, le meilleur rapport qualité/quantité/prix du monde et ses diners qui s'y éternisent, cette table de 12 en janvier. Le Patio San Eloy, en février, "tu devrais essayer ce resto avant de partir". Le bar dans laquelle on est entrées par hasard, attirées par les bruits de guitares et les chants, en janvier. L'église et sa façade recouverte de mauvaises herbes, "c'est zarb, non ?", en octobre. Et puis, on est arrivées chez nous. Je suis ressortie avec d'autres amis, sur l'Alameda. L'Alameda, ses bars, ses mojitos, ses tapas, et son Fun Club, où j'aurais passé mes meilleures soirées, même si ça n'est pas la meilleure boite de Séville. De septembre à juin.
"Quand on arrive dans
une ville, on voit des rues en perspective. Des suites de bâtiments
vides de sens. Tout est inconnu, vierge. Voilà, plus tard on aura marché
dans ces rues, on aura été au bout des perspectives, on aura connu ces
bâtiments, on aura vécu des histoires avec des gens. Quand on aura vécu
dans cette ville, cette rue on l’aura prise dix, vingt, mille fois. Au
bout d’un temps cela vous appartient parce qu’on y a vécu."
C'est ce que se dit Xavier, le héros de "L'auberge espagnole", lorsqu'il marche dans Barcelone pour la première fois. Et c'est exactement ça. Tout en avançant, samedi, je me revoyais marcher seule, plan en main, dans ces mêmes rues, quelques heures après mon arrivée en septembre. Curieuse, aventureuse, mais un peu stressée quand même. Me demandant ce qu'allaient me réserver toutes ces rues.
Bon, voilà, mes premières amies sont déjà rentrées. J'ai une fête d'adieu ce soir, une autre après-demain, plusieurs la semaine prochaine. Tugce part le 2, c'est à dire mercredi prochain. Il ne nous reste plus qu'une grosse semaine, plus qu'un week-end. Je ne sais pas quand on se reverra, et je ne sais pas où. On se reverra, c'est certain, mais ça sera différent. Les "on fait quoi le week-end prochain ?" sont devenus des "et tu fais quoi cet été ?". "Je serai à Istanbul/Rome/Paris/Londres" (rayez la mention inutile). Ca fait rêver tout le monde sauf la personne concernée, c'est notre vie, c'est chez nous, c'est notre case, point. Et en fait, malgré tout ça, je suis beaucoup moins triste que ce que j'imaginais. Ca ressemble plus à de la nostalgie, mais une jolie nostalgie. De celles qui veulent dire "je suis vraiment contente d'avoir pu connaitre tout ça". Je sais que quand il faudra raccompagner Tugce à la gare, ça sera loin d'être drôle. Tout comme on a moyennement ri quand on a commencé à trier nos affaires la semaine dernière. Quand je dirai au-revoir à mes derniers amis, je ne rirai pas non plus. Quand j'arriverai à l'aéroport, quand je monterai dans l'avion, je serai beaucoup moins surexcitée que d'habitude. Mais voilà, finalement, puisqu'il faut que ça arrive, puisqu'il faut bien que l'on se quitte, tous, autant que ça ne traine pas trop. Je suis réellement contente de pouvoir passer du temps chez moi, ça fait bien longtemps que je n'ai pas profité de ma maison, de Chambéry, que je n'ai pas été au lac. Et puis, ça fait près de 6 mois que j'ai été à Paris pour la dernière fois, je pense que c'est un record absolu dans ma vie, et je commence vraiment à sentir le manque. J'ai même, c'est vous dire, presque -"presque", seulement quand même- hâte de retrouver ma fac. C'était le contrat, on le savait : 10 mois. Ca donnait le vertige en septembre, maintenant, lorsque l'on se retourne et qu'on réalise le chemin parcouru, ça fait sourire. Sourire de bonheur d'avoir vécu tout ça, sourire de fierté d'avoir su être là au(x) bon(s) moment(s). Je crois, aussi, qu'on ne réalise pas trop. On s'était dit au revoir avant les vacances de Noël, on savait qu'on se retrouverait tous, on fait comme si c'était pareil. Sans doute que le contrecoup viendra au bout de quelques semaines, quand on comprendra que non, cette fois, on n'y retourne pas -pas dans l'immédiat en tout cas, ni pour les mêmes raisons-.
Bon, pour les détails techniques, je passe mon dernier examen le mercredi 2, et je pars le dimanche 6. J'atterris, normalement, à 17h10... en Suisse -c'est ça d'habiter près de la frontière-. Disons que, le temps d'être en retard, de récupérer mes trois -si j'en ajoute pas une 4e d'ici là- valises, de trouver mon père dans la foule, de rejoindre la voiture et de passer la frontière qui est somme toute très près, je devrais être en France sur les coups de 18h30. Et là, je sortirai ma carte SIM espagnole de mon Iphone, je remettrai ma française, je n'aurai plus de numéro en +34, ça sera fini l'exotisme. Je pense que je me gaverai de fromage et de viande, puis, dès le lendemain, j'irai chez le coiffeur car mes cheveux sont ravagés de tout ce soleil, de cette eau de mer, et de ces soirées passées à être lissés et laqués. Bon, c'est sans doute ridicule, mais les autres chevelures longues me comprendront : c'est symbolique, je voulais voir à quel point ils pourraient pousser en un an, c'est bon, j'ai vu, maintenant, il est temps de les rendre beaux et de clore pour de bon ce chapitre espagnol. Je ne pense pas réécrire d'articles d'ici là -en tout cas, je préfère ne pas m'y engager-. C'est dans moins de deux semaines, et d'ici là, je dois boucler mes derniers examens, ma valise, et retourner au Centre International, celui du bout du monde dont je vous avais parlé, il y a donc 10 mois, pour faire signer mon papier de fin de séjour. Le dernier restant dans mon dossier. Et, s'il me reste du temps avec tout ça, je m'en servirai pour me construire mes derniers souvenirs. Je reviendrai sans doute, une fois que je serai posée, ou bien juste avant de partir, faire le bilan définitif de cette expérience si particulière qu'est Erasmus, et mettre le point final à tout ça.