Nous entrons dans une période charnière de l'année Erasmus. Et je ne parle pas des examens, qui ont commencé pour moi mercredi et qui ne s'annoncent pour l'instant pas très brillants, mais on en parlera plus tard de tout ça, quand j'aurai terminé, que j'aurai les résultats et du recul sur la chose (mais quand même, je vous jure qu'on en parlera parce que j'ai 2-3 trucs assez drôles quand même sur l'organisation des examens ici...). Non, cette fameuse période dont je veux parler, c'est le changement de semestre et les inévitables départs qui l'accompagnent. De nombreux étudiants ne sont là que pour un semestre et doivent donc effectuer leur rentrée en février dans leur pays. Autrement dit, ils s'en vont. Les uns restent, les autres partent... Et c'est moyennement rigolo. Hier soir, j'ai été à ma première soirée d'au-revoir (parce qu'on est tous fous d'espoirs, et sans doute un peu naïfs, on préfère ne pas parler de "soirée d'adieu"). Une très bonne amie à moi quitte Séville demain matin. Pour profiter de sa présence au maximum, je l'ai vue presque tous les jours cette semaine, ce qui nous a fait parler et réfléchir sur le sens de l'amitié Erasmus, car il s'agit bien de quelque chose de très particulier. C'est comme une relation très forte, mais à durée déterminée. Mais pour bien comprendre ça, reprenons au début...
Septembre. Te voilà tout seul dans une ville dans laquelle, en général, tu n'avais jamais mis les pieds avant. Tu as choisi ta destination parce que ça sonnait bien, que ça avait l'air sympa, que tu te sentais attiré par cet endroit. Donc voilà, tu as fini par y arriver, sauf que maintenant que tu es au milieu de tes valises, tu te sens bien bête. Tu t'empresses de donner ton nouveau numéro de téléphone aux gens restés en France, c'est-à-dire, pour le moment, aux gens point final. Tu enchaines les skype. Ca va durer, au pire, une petite journée. Et puis après, il y a les autres. Les trois questions que tu répètes inlassablement : "Tu t'appelles comment ? Tu viens d'où ? Tu étudies quoi ?". Tu observes un peu tout le monde, en tâchant d'imaginer... Qui reverras-tu demain ? Avec qui fêteras tu ton anniversaire dans quelques mois ? Qui t'accompagnera à l'aéroport le dernier jour ? Parfois tu te plantes complètement, comme dans la "vraie" vie. Je me rappelle avoir pensé de ma coloc, bien avant qu'elle ne le devienne, qu'elle avait l'air très froide, pas du tout le genre de fille avec qui je pourrais m'entendre. Sauf que depuis, on a parlé, on a emménagé ensemble. Je lui ai appris à faire la quiche lorraine, elle m'a appris a mettre du yaourt nature dans tous mes plats. Je lui ai parlé de la France, elle m'a parlé de la Turquie. Elle a traversé tout Séville pour me dépanner un jour où j'avais lamentablement, et totalement, déchiré mon collant. Je lui ai sauvé la mise lors de certaines soirées, elle en a fait de même pour moi. Elle m'a écouté parler des heures de choses futiles. Elle m'a amené des thés dans ma chambre quand j'étais malade, des verres de Bailey's quand j'étais triste.
Il y a les autres aussi, ceux que tu croises à la fac, en soirée, dans des restos, les amis d'amis, les amis d'amis d'amis, les amis de coloc, les colocs d'amis de coloc...Ceux avec qui tu prends des petites habitudes, avec qui tu te construis une routine : aller manger à tel endroit tous les lundis, prendre ton petit déj dans tel café, aller à la bibliothèque tous les mercredis après-midi (et bien plus souvent parfois...). Il y a cette amie italienne, avec qui j'allais en cours d'espagnol en vélo, avec qui j'arrivais de plus en plus en retard, côte à côte jusque dans la salle d'exam. Elle s'en va dans trois semaines. Il y a cette amie anglaise, rencontrée en cours d'histoire de l'art, qui s'excitait dès que je lui disais que j'adorais Londres. Elle est partie avant-hier. Il y a cette amie française avec qui je fais, régulièrement, des "petites pauses dans le travail" qui durent 3h ; en général, ça se finit toujours à manger un yaourt glacé. Il y a cette amie polonaise qui bat tout le monde à plates coutures en soirée, qui a l'air d'être dans un autre monde, ce genre de fille que tu voudrais détester, sauf dès que tu as besoin d'elle, elle est là. Il y a ces gens que tu as rencontré au tout début et qui sont toujours là, il y a ceux que tu ne vois plus, il y a ceux que tu connais depuis une semaine et que tu as l'impression d'avoir toujours connu. Il y a tout ce monde là, les italiens, les allemands, les français, les anglais, les polonais, les grecs, et puis, les espagnols. Peu à peu, j'ai cessé de fréquenter les français, bien sur, j'en vois toujours, et ça fait parfois du bien de pouvoir se retrouver à ne parler que français, sans avoir à te demander si tu as bien conjugué ton verbe irrégulier. Mais il se trouve que je me suis rapprochée des autres, des étrangers, j'aime en apprendre sur leurs pays, j'aime découvrir ce qu'ils savent de la France, et du français. J'adore qu'on me demande "mais pourquoi vos présidents ont d'aussi belles femmes alors qu'ils sont très moches ?". Un français ne me poserait pas cette question. J'adore qu'on me dise "regarde, je sais dire un truc en français" ; en général, ça se finit mal. J'aime qu'on compare nos cartes d'identités et nos permis de conduire (d'ailleurs, vraie question : la taille de ces deux documents en France... POURQUOI ?). Et puis, j'adore les prénoms de mes amis. Mon facebook est maintenant d'un exotisme fascinant. Et, surtout, j'adore les entendre prononcer "Marie".
Maintenant, quand on me parle d'un pays, je peux lui associer des voix et des visages. C'est quand même drôlement plus intéressant que les cours de géo au collège.
Ici, on se reconstruit un nouveau monde, un monde Erasmus. On connait les règles du jeu : on se soutient pendant 3/6/9 mois. On apporte aux autres la présence dont ils ont besoin. On apprend à se connaitre, on se rapproche, on s'engueule, on se réconcilie, on boit des bières, on laisse sa signature sur un drapeau, et on se dit au-revoir en se promettant qu'on se reverra. On sait très bien qu'on ne reverra qu'une infime partie de ces gens. C'est pas grave, on a tout ce (ceux) dont on a besoin à la maison. On sautera dans les bras de ceux qu'on retrouvera dans quelques mois, quelques années, et on pensera à ceux qu'on ne reverra pas, en se disant qu'on a désormais tous un truc en commun, un truc que, pour le coup, les autres n'ont pas : nous, on sait.
Et puis, bon de tout façon...
Il y a ceux qui repartent... mais il y a aussi tous ceux qui arrivent pour le prochain semestre !